Montpellier, capitale du greenwashing thermique ?

PLURIELLE.INFO / 15 OCTOBRE 2025

Jean-Philippe VALLESPIR

Métropole de Montpellier affaires 2 et 79 le 14 octobre 2025 - Photo - Screen flux 3M
Métropole de Montpellier affaires 2 et 79 le 14 octobre 2025 – Photo – Screen flux 3M

Deux délibérations du conseil de métropole du 14 octobre 2025 racontent, à elles seules, toute l’ambiguïté de la politique environnementale montpelliéraine.

L’affaire n°2 sur la « chaleur fatale » posait une trajectoire vertueuse, fondée sur la géothermie et la sobriété. Présentée magistralement par Isabelle Touzard, maire de Murviel-lès-Montpellier et vice-présidente déléguée à la Transition écologique et solidaire, elle validait la troisième feuille de route énergétique du mandat après le photovoltaïque et la filière bois, avec pour objectif de tripler la production locale d’énergie renouvelable d’ici 2030, notamment grâce à la récupération de chaleur issue des eaux usées, des data centers et des procédés industriels.

Un réseau de chaleur

Mais à l’échelle de la métropole, cette stratégie suppose un réseau de chaleur énorme, alimenté par des sources variées, dont certaines beaucoup moins vertueuses.

L’affaire n°79, elle, ouvrait la voie à une « valorisation énergétique » des déchets plastiques à travers la future chaufferie CSR (Combustible Solide de Récupération), inscrite dans la nouvelle DSP du Réseau montpelliérain de chaleur et de froid. Ce réseau, long de plus de 80 kilomètres, alimente déjà Antigone, Port Marianne et Cambacérès. Sa prochaine extension au sud de Montpellier doit atteindre 20 000 foyers supplémentaires et s’appuiera en partie sur la combustion de 45 000 tonnes de déchets non recyclables, dont une majorité de plastiques.

La combustion au nom du climat

Entre les deux, une même voix : celle de René Revol, vice-président chargé de l’eau, de l’assainissement et des déchets devenu l’avocat zélé de la combustion au nom du climat.

Lors du débat sur la feuille de route des énergies renouvelables, René Revol lie déjà géothermie, méthanisation et incinération. Il explique que « brûler les boues » est « vertueux », que la rénovation d’Amétyst produira du biogaz, et que tout cela concourt à la neutralité carbone.

Posture étonnante, l’homme se paie le luxe d’une condescendance de sachant, en rebondissant sur une question vaseuse de Bernard Modot, élu à Lattes : « avec mon épouse, j’ai rencontré la femme fatale, ça je savais, mais alors la chaleur fatale ? » Rires timides dans l’hémicycle face à ce spécialiste des grimaces dans le champ des caméras lorsqu’intervient François Vasquez. L’insoumis de Grabels enchaîne, avec un brin de mépris : « peut-être qu’on peut trouver effectivement une autre terminologie pour être compréhensible. S’il n’y avait que ça à changer pour que nos concitoyens nous comprennent ! »

Essayons donc de comprendre ce vice-président, en rappelant une chose : le plan climat-air-énergie territorial (PCAET) impose à chaque commune et EPCI de réduire de 40 % leurs émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Ils doivent aussi diviser par deux la consommation d’énergie, développer les énergies renouvelables locales et intégrer ces objectifs dans l’urbanisme, les mobilités et la gestion des déchets. Mais reprenons le fil du conseil de métropole là où nous avons laissé René Revol : confond-il volontairement valorisation et destruction, chaleur fatale et combustion industrielle ? Son discours semble faire un glissement qui fera école dans la métropole sous l’ère Delafosse : brûler devient “décarboner”.

« Un projet funeste et inutile » François Vasquez

Quand vient l’affaire 79, François Vasquez rappelle des faits : la future chaufferie CSR brûlera 45 000 tonnes de déchets plastiques, soit du pétrole solide en émettant CO₂, dioxines et micro-particules fines. Il démonte le mythe d’une énergie « renouvelable » et dénonce « un projet funeste et inutile », d’autant que selon lui, les incinérateurs de Sète et Lunel auront, d’ici 2030, des capacités de four vacantes, suffisantes pour accueillir les déchets montpelliérains.

Mais à défaut de répondre sur le fond, René Revol choisit encore une fois la condescendance : « Monsieur Vasquez n’a pas écouté les débats. Il ne sait pas de quoi il parle. » Le procédé est classique : décrédibiliser pour éviter le débat technique. Le vice-président aligne alors les approximations : « 90 % des boues, c’est de l’eau… ça n’a donc rien à voir avec l’incinération des déchets. » « Il y a des CSR dans lesquels il n’y a que 30% de plastique », « il y a même plus de quatorze types de filtres différents et il y a des filtres et des façons de gérer ça qui ne créent aucune… » aucune quoi ? Pollution ? Étonnant, le vice-président n’arrive même pas à prononcer le mot, ne termine pas sa phrase, comme s’il n’assumait pas l’association des deux : aucune pollution.

Récapitulons, évidemment les CSR contiennent en moyenne 40 à 60 % de plastiques, leurs émissions sont reconnues comme sources de gaz à effet de serre, et les filtres ne captent pas les micro-particules les plus nocives. L’incinération ne fait pas disparaître les déchets : elle les transforme en fumées et cendres toxiques, qu’il faut enfouir ensuite. Quant aux boues, certes, elles contiennent 70 à 85 % d’eau, mais aussi de la matière organique, des métaux lourds et des microplastiques, dont la combustion produit des résidus solides et gazeux à forte teneur polluante.

« Les écologistes doivent fonctionner sur la raison, laissons la peur à l’autre extrême » René Revol

Quid de la cohérence politique du Grabellois ? Que veut dire défendre coûte que coûte un projet voulu par la majorité socialiste, quitte à trahir la bifurcation écologique qu’il se doit d’incarner pour rester fidèle au programme de La France insoumise ? René Revol a sorti l’artillerie de la rhétorique du snipper : « tout ça est fait pour faire peur », lance-t-il, avant d’asséner que « les écologistes doivent fonctionner sur la raison, laissons la peur à l’autre extrême ». En quelques phrases, il inverse les rôles, enferme François Vasquez dans la caricature de l’agitateur irrationnel et s’approprie le vocabulaire du macronisme sécuritaire. À ce rythme, au prochain conseil, il ne manquera plus qu’à qualifier ses opposants d’“écoterroristes”.

Michaël Delafosse, en président satisfait, conclut : « Je partage à 100 %. » Le vote tombe, la délibération est adoptée. Le top départ est donné à une usine qui brûlera des plastiques au nom du climat.

Dans ce duel devenu tradition dans le conseil de métropole, Vasquez incarne la rigueur, Revol la fuite en avant en service commandé. Le premier alerte sur les risques sanitaires et l’absurdité économique du projet ; le second use du ton professoral pour travestir un incinérateur en politique énergétique. Delafosse glousse de bonheur et il y a de quoi, il est devenu le ventriloque d’un insoumis et réussit à lui faire parler le langage des socialistes macronisés.

À retenirQu’est-ce que la “chaleur fatale” ?

La chaleur fatale désigne la chaleur produite de façon non intentionnelle par une activité humaine, industrielle, urbaine ou numérique et habituellement perdue dans l’environnement. Au lieu d’être dissipée dans l’air ou l’eau, cette chaleur peut être récupérée, transportée et réutilisée pour chauffer des logements, des équipements publics ou des réseaux urbains.

Exemples : la chaleur dégagée par les usines, data centers ou stations d’épuration ; les calories présentes dans les eaux usées (à température moyenne de 30 à 35 °C) ; la chaleur rejetée par certains process industriels ou systèmes de climatisation.

Techniquement, on la capte grâce à des échangeurs thermiques et des pompes à chaleur qui élèvent sa température pour la rendre exploitable dans un réseau de chaleur. L’intérêt est double : écologique, car elle évite de consommer du gaz ou du fioul pour produire de la chaleur ; économique, puisqu’elle valorise une énergie déjà payée et limite les pertes.

À Montpellier, la chaleur fatale est déjà utilisée à Cambacérès ou Beausoleil, et figure au cœur de la stratégie métropolitaine de décarbonation du chauffage collectif à l’horizon 2030.

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