Zéro déchet, CSR, biogaz : Conseil de métropole, ou l’art de fabriquer du consentement

PLURIELLE.INFO / 4 JUIN 2025

Jean-Philippe VALLESPIR

Conseil de métropole de Montpellier du 3 juin 2025 - Photo - PLURIELLE INFO
Conseil de métropole de Montpellier du 3 juin 2025 – Photo – PLURIELLE INFO

Sous couvert de concertation citoyenne, la majorité métropolitaine vient de franchir une étape décisive dans la relance du projet Améthyst: le 16 juillet prochain, les élu·es devront voter la nouvelle délégation de service public (DSP) pour la transformation de l’usine, incluant une chaudière CSR (Combustible Solide de Récupération). Un calendrier soigneusement verrouillé, qui tente d’extraire le sujet, du débat des Municipales de 2026. Explications.

« On s’est fait avoir une fois, on veut pas qu’on nous le refasse. » Patrick Boulet, habitant du quartier Garosud, exprime la défiance des citoyens face au projet de chaudière CSR. Nadou Kadic, membre de l’assemblée de quartier Centre, résume : « pour faire brûler de la merde, excusez-moi, c’est très très compliqué. Il vaut mieux avant diminuer les déchets. » Tous deux engagés dans le fameux dialogue citoyen avec les services de la Métropole, appellent à « être extrêmement vigilants » sur la qualité des CSR. « À Trifyl, dans le Tarn, la moitié est enfouie, car inutilisable ». Un autre participant confiera  : « le  jour de la visite à Trifyl, je crois que René Revol, il en a appris autant que nous. »  Pour conclure : « c’est une vraie catastrophe, ça ne marche nulle part en France. » Un avis complémentaire a été transmis aux élu·es, et formule 5 recommandations, dont celle de stopper « une décision dommageable pour la future municipalité ». Moment d’authenticité, en extérieur à 8h30 devant le conseil de métropole juste avant d’entrer dans l’hémicycle où le bilan du dialogue citoyen deviendra l’habillage politicien de la majorité de Michaël Delafosse.

Le meilleur adoubement sera celui de Manu Reynaud, écologiste exclu de son parti, qui saluera le travail du service du renouveau démocratique et citoyen : « je voudrais d’abord saluer la méthode. Effectivement, tu l’as souligné René, c’est une bonne méthode […] on parle ici de dialogue citoyen et il a le mérite d’exister pour un sujet complexe. » Un dialogue avec 85 personnes sur une métropole de 523 000 habitants et 31 communes, pour produire un « cahier de recommandations » sans jamais ouvrir de débat sur les choix de fond.

Délégitimer, verrouiller, transformer

Si les citoyen·nes sont le décor, l’acteur principal de ce dossier est René Revol, le vice-président en charge de l’eau, de l’assainissement et des déchets, au service d’une stratégie en trois temps : délégitimer l’opposition, verrouiller le calendrier, et transformer le dossier des déchets en une affaire d’administration purement technique.

Après une salve d’interventions critiques d’Alenka Doulain (Mupes), de François Vasquez, prédécesseur écologiste de René Revol à cette vice-présidence, et de Célia Serrano dont l’assemblée voudrait dénoncer « les outrances », René Revol s’est prévalu d’une confidence de son « grand ami Jean-Luc Mélenchon » qui lui aurait dit un jour « Ce qui est bien avec toi, c’est que tu es un révolutionnaire calme. Donc je vais essayer de rester calme ».

Calme, il l’est en apparence, mais féroce sur le fond, comme le prouve ce brouillage des rôles entre responsabilité exécutive au sein d’une majorité socialiste et loyauté militante. Pire encore, le maire de Grabels revendique une posture « révolutionnaire » tout en devenant l’un des architectes d’un dispositif contesté tant par les mouvements écologistes et citoyens, que par son propre mouvement LFI dont le groupe parlementaire a déposé une proposition de loi demandant un moratoire sur les nouveaux incinérateurs. Loin de l’ADN de la France insoumise qu’est la bifurcation écologique, le vice-président choisit de justifier une politique de continuité technocratique dans la gestion des déchets.

Délégitimer entre populisme et irresponsabilité

Face à un François Vasquez passionné, offensif, incisif, qui met en lumière les incohérences de la majorité et qui porte une vision politique alternative crédibleManu Reynaud, l’alibi écologiste de Michaël Delafosse, ne trouve pas d’autre réponse que l’attaque « On ne débat bien qu’avec des gens qui se respectent» alors qu’à aucun moment l’ancien vice-président démissionnaire n’a été irrespectueux. Mais c’est une façon d’écarter le débat public, que souhaitent Les Écologistes avec le PS sur ce sujet de l’incinérateur de CSR.

La prise de parole de Michaël Delafosse, comme certains autres, insiste lourdement sur la responsabilité, la complexité technique, et la nécessité d’affronter les « vrais problèmes ». À l’inverse, les critiques de l’opposition sont souvent qualifiées d’émotionnelles, simplistes ou électoralistes. Le maire socialiste prévient : « Il y a ceux qui jouent sur les peurs […] qui ne sont pas à une contradiction près. » C’est la première des stratégies, délégitimer l’opposition par une assignation au populisme ou à l’irresponsabilité. 

Verrouiller le calendrier

Verrouiller le calendrier pour dépolitiser le débat, c’est la top stratégie temporelle. Vote de la DSP le 16 juillet 2025, soit plus de 8 mois avant les municipales. Et le duo Delafosse et Revol insistent : ce n’est pas un vote sur le CSR, mais un « acte technique », encadré juridiquement, dont les véritables effets seront décidés après les municipales. Mais alors pourquoi ce timing ? D’abord éviter que le débat sur les déchets ne structure le débat des municipales de 2026. Ainsi en verrouillant la procédure à l’avance, avec des choix déjà « encadrés », la majorité tente de retirer aux opposant·es un levier de campagne important.

Transformer une impasse politique en affaire d’administration technique

Pour clouter le tout : transformer une impasse politique en une simple affaire d’administration technique. Avec un récit imposé : « nous n’avons pas le choix […] Nous sommes dans une impasse. Résultat, nous sommes la risée du pays sur ce sujet. La risée du pays. Voilà, très clairement, » clame le président en affirmant, « nous sommes la seule métropole qui exportons nos déchets […] Si Montpellier n’a pas de solution pour ses déchets, il y aura un énorme problème. » Bref ! La majorité cherche à préempter le débat sur les déchets, non pas pour l’ouvrir, mais pour le clôturer à temps.

René Revol semble désormais à l’aise dans son rôle de gestionnaire prudent, stratège du report. Problème : au jeu du « pas encore », c’est la sincérité du débat démocratique qui s’évapore. Et ce sont les citoyen·nes qui paieront, en santé publique comme en fiscalité, le prix des choix qu’on leur aura soigneusement évité de formuler, d’analyser et de décrypter.

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Numéro d’équilibriste

En pleine séance, René Revol lâche une autre phrase riche de sens : « ne croyez pas que les trente maires vont regarder le débat électoral de Montpellier comme on regarde un bac à sable de maternelle. On va aussi s’exprimer, nous, les trente maires, pour dire ce que l’on pense de la métropole, ce que l’on souhaite pour la métropole. » Derrière cette formule sarcastique se cache un sacré tir politique. Premièrement, il serait candidat et apparemment seuls les maires sortants compteraient dans le débat sur l’avenir métropolitain. Deuxièmement, en affirmant que le débat sur les déchets ne doit pas être confisqué par Montpellier et qu’il relève d’une logique métropolitaine, il désarme toute tentative d’opposition municipale sur le dossier Améthyst/CSR, y compris venant de sa propre famille politique.

Mais l’élu grabelois joue ici un numéro d’équilibriste : il ferme à double tour l’espace politique pour une candidature LFI à Montpellier et une possible union avec Les Écologistes. En verrouillant le calendrier (vote technique en juillet 2025, consultation publique après 2026) et en disqualifiant par avance toute critique venue de la gauche radicale et des écologistes comme infantile ou “de bac à sable”, il protège la majorité montpelliéraine. En clair : le sujet des déchets ne pourra pas être un thème fort de campagne sans rompre avec la ligne Revol. Une manière subtile, mais redoutablement efficace, d’anéantir toute autonomie stratégique de LFI à Montpellier et dans les villes de la métropole. Reste à comprendre le motif de ce positionnement. Quelle est donc la flûte magique que possède Michaël Delafosse, pour le faire ainsi danser ?

Un habillage politique discutable

Comme pour se mettre en phase avec la proposition de loi N°1082 du député LFI René Pilato, « ce que nous vous proposons, ce n’est pas un incinérateur. C’est une chaudière. Ce n’est pas un jeu de mots, c’est la loi. » En affirmant cela lors du conseil de métropole du 3 juin 2025, le vice-président à la gestion des déchets prétend clore le débat. Il explique que les opposants agitent le spectre d’un incinérateur, alors qu’il ne s’agirait que d’une « chaudière CSR ».

Le tour de passe-passe repose sur une différence de classement administratif. Oui, juridiquement, une chaudière CSR (combustibles solides de récupération) est une ICPE 2910 (Installation de combustion), tandis qu’un incinérateur est classé ICPE 2771. Pourquoi ? Parce qu’on y brûle non pas des déchets bruts, mais un produit déjà transformé et stabilisé, donc considéré comme un « combustible ». L’astuce est là : changer le statut du déchet pour maquiller la fonction de l’installation. Note : ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement).

Mais dans les faits, les conséquences sont les mêmes : on brûle des déchets. On en extrait de l’énergie. On rejette des fumées, on produit des mâchefers et des résidus dangereux. On est donc face à une opération d’incinération, soumise aux mêmes normes sur les émissions atmosphériques que les incinérateurs classiques (directive 2010/75/UE). Alors est-ce que cela est une façon de présenter comme un progrès ce qui apparaît comme une fuite en avant industriel ? Oui et le vice-président sature même le débat en contenu technique pour éviter qu’il ne devienne démocratique.

Les citoyen·nes ne s’y trompent pas. Lors du dialogue citoyen organisé par la métropole, plusieurs participants ont eux-mêmes exprimé leurs doutes sur la sincérité de la démarche, et rappelé qu’une chaudière CSR est, de fait, un incinérateur qui ne dit pas son nom. La réalité s’impose : ce n’est pas une chaudière contre un incinérateur, c’est une politique de combustion des déchets, maquillée en énergie renouvelable, pire en transition écologique. Et cela, aucun élément de langage ne pourra le nier.

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Quid de la régulation ?

Dans ses propos, René Revol laisse entendre que la Métropole pourra, via le cahier des charges de la DSP, réguler les volumes de CSR brûlés, et donc contrôler les flux pour éviter la dépendance à l’apport de déchets extérieurs, adapter les volumes à une stratégie « zéro déchet », et même réduire les taxes sur l’incinération. « Nous allons encadrer les choses pour éviter que l’on soit obligé d’augmenter les tonnages… »

Mais ce que pourra faire la réalité contractuelle d’une DSP sur la chaudière CSR une fois signée, pour l’heure nul ne le sait. Ce que l’on sait fort bien en revanche, c’est que c’est le délégataire privé qui pilote l’outil industriel, dans une logique économique fondée sur la rentabilité. La DSP fixe des objectifs de chaleur à injecter dans les réseaux urbains. Or la quantité d’énergie dépend directement du volume de CSR brûlé. Si les tonnages baissent trop, le délégataire peut exiger une compensation financière ou réimporter des déchets pour atteindre les seuils techniques. Et enfin un contrat sur 15 ans oblige à optimiser l’usage de l’équipement. Cela pousse mécaniquement à maintenir des volumes constants, voire croissants.

C’est l’industriel, pas la collectivité, qui fixera en pratique les volumes à brûler. Et, même si le cahier des charges évoque des plafonds ou des objectifs, la dynamique réelle dépendra des contraintes techniques de la chaudière et des engagements économiques du délégataire. Il est à craindre que l’exécutif n’entretienne une illusion de contrôle public sur un outil qui sera dimensionné, exploité et optimisé par un acteur privé, dans un cadre verrouillé par contrat. Un contrat qui reste certes à définir et qui est affaire de négociations et de transparence politique.