L’incinération des déchets : une argumentation biaisée

Afin d’apporter des éléments contradictoires suite aux sessions d’auditions réalisées en huis clos dans la salle du Conseil, nous présentons en cinq parties nos analyses argumentées de la filière CSR projetée.

1 – Une filière énergivore
La filière CSR mobilise de nombreuses opérations industrielles de tri, de découpe, de séchage qui sont très consommatrices d’énergie. En première approximation, pour 100 MWh d’énergie produits par l’incinérateur CSR, la filière aura consommé en amont 55 MWh (55%).  Cette autoconsommation très importante est imputable :
•      au tri et criblage des déchets OMR : la préparation d’une tonne de combustible CSR consomme environ 100 kWh électriques.
•      au séchage des refus : évaporer une tonne d’eau des résidus humides (digestats, refus de l’atelier CSR) consomme 1250 kWh de chaleur.

Ce piètre rendement s’établit dans les hypothèses énergétiques les plus optimistes, en admettant une une valeur calorifique du combustible à 12 MJ/kg. Or on peut douter que cette valeur sera atteinte, même après la préparation CSR, dont le but est d’isoler la fraction la plus calorifique. Par comparaison, le gaz naturel est à 36 MJ/kg et le bois de chauffage (à 20% d’humidité) à 13,7 MJ/kg. Les OMR en moyenne sont à seulement 8,3 MJ/kg. Un scénario dégradé avec un combustible CSR à 9 MJ/kg, valeur probable pour un CSR issu d’OMR, porterait l’autoconsommation de l’installation (constante à 70 Gwh/an) atteindrait 80% de l’énergie produite.

Il est en théorie possible d’augmenter la valeur énergétique du combustible CSR en y incorporant davantage de bois et déchets d’ameublement. Mais c’est interdit, car contraire à la règle de priorité, qui dit que l’on n’a pas le droit d’incinérer des matériaux qui peuvent faire l’objet d’une valorisation matière. Par ailleurs, les papiers et cartons souillés rejetés par l’usine de tri Demeter (~6300 tonnes/an) sont aujourd’hui incinérés. Or ils sont parfaitement méthanisables, et devraient donc échapper à l’incinération.

Le gisement de déchets de la Métropole a une faible valeur calorifique, la filière est très consommatrice, avec dans le meilleur des cas, une autoconsommation de 55% en fonctionnement nominal.
2 – De mauvais rendements énergétiques globaux 

L’incinérateur a besoin d’arrêts et redémarrage réguliers qui dégradent encore le rendement global. Chaque arrêt cause d’importantes pertes de chaleur non valorisées. Chaque démarrage consomme une charge de combustible solide à plus haute valeur calorifique que le combustible CSR, à imputer aux charges de fonctionnement. Par analogie, rappelons que l’usine de méthanisation Ametyst consomme 100 000 litres de fioul par an, pour les besoins du process (chauffage, séchage…) et autoconsomme 83% de l’électricité qu’elle produit.

La filière CSR produit de la chaleur et peu d’électricité. Montpellier a de faibles besoins en chaleur : actuellement, Ametyst fournit 10 GWh de chaleur dans le réseau de chaleur urbain (RCU) des Grisettes. Avec l’extension programmée du réseau RCU (Cité Créative à 2,7 km, M.I.N. à 1,7 km, Hotel de Ville à 3,5 km), il est prévu de doubler l’apport de chaleur, à 20 GWh. La chaleur fournie annoncée (48 GWh) reste donc bien supérieure aux besoins.

Les besoins de chaleurs ne sont pas infinis. Ils sont saisonniers (4 mois d’hiver), en baisse tendancielle jusqu’à 2100, avec le réchauffement climatique et l’amélioration progressive de l’efficacité thermique des constructions. Rappelons que dans nos régions, un logement à la norme BBC n’a besoin que d’un chauffage d’appoint, pour les quelques jours de froid dans l’année. L’usine CSR de Tromsø en Norvège, au nord du cercle polaire, ou celle de Copenhague, répondent  en comparaison de Montpellier à des besoins de chaleur bien plus conséquents.

En été, nul besoin de chaleur. On peut certes convertir la chaleur inutilisée en froid ou en électricité, mais seulement dans les limites physiques de la thermodynamique, et avec des pertes de rendement importantes : selon l’Ademe, l’incinérateur de 19,9 MW en cogénération (production combinée de chaleur et d’électricité) fournit ces puissances :
•      15 MW en hiver (électricité 3MW + chaleur 12MW)
•      et seulement 8 MW en été (électricité 5MW + chaleur 2MW)

C’est à dire que hors période de chauffage, 8 mois par an, la valorisation énergétique est deux fois moindre qu’en période de chauffage. Et compte tenu de l’autoconsommation très élevée, on peut même douter qu’il y restera, selon les périodes de l’année, une énergie nette valorisable.

3 – Des refus qui restent trop élevés

L’incinérateur envisagé aura une puissance de 19,9 MW. Pour alimenter un tel incinérateur, 45 000 t/an de CSR sont nécessaires. Pour obtenir ce volume de  combustible CSR, il faut isoler la partie la plus calorifique parmi 125 000 t d’OMR, encombrants et refus de tri sélectif. Après combustion, les 45 000 t laissent 9 000 tonnes de refus solides imbrûlés (20%), sous forme de mâchefers (11%) et REFIOM (9%). Ces derniers, déchets dangereux, sont soumis à TGAP et exportés dans une décharge pour déchets dangereux (ISDD), à un coût cinq fois supérieur à la mise en décharge classique (ISDND).

On voit que les 45 000 – 9000 = 34 000 tonnes parties en fumées dans l’incinérateur chaque année (dans l’atmosphère, en réalité) restent minoritaires : seulement 27% du tonnage d’entrée. Les diverses opérations de séchage réduisent un peu les tonnages de refus, mais ces derniers restent élevés, et donc coûteux à exporter et enfouir en décharge. Nous conservons l’hypothèse avancée par la filière, selon laquelle la part fermentiscible baisserait de 55 000 à 48 000 tonnes à entrées constantes, résultat qui dépend de la capacité à trier les biodéchets à la source. Cet objectif se place en amont de la filière et relève davantage de la Métropole et des citoyens que de la filière CSR elle-même.

Les hypothèses de séchage proposées sont énergivores mais aussi très optimistes. On peut douter que l’on parvienne à évaporer 54% des digestats, une boue contenant 50% d’eau, que ce soit par centrifugation et/ou séchage. Par l’expérience d’Ametyst, le tonnage en sortie des digesteurs est 5% plus élevé qu’entrée, ce qui s’explique par les ajouts d’eau dans le digesteur nécessaires pour activer la fermentation.

Selon ces hypothèses, plus réalistes que celles proposées :
•      127 000 t d’OMR en entrée
•      séchage de 25% massique
•      excédents de combustible CSR onéreux, donc comptés en refus

Notre comparaison de la filière CSR au scénario actuel, à volume d’entrée égal, fait apparaître un volume de refus de 98 000 t pour la filière CSR, soit une baisse du taux de refus de seulement 13% par rapport à la situation actuelle (112 000 tonnes)

Notons que le combustible CSR a une faible densité, environ 200 kg/m³. Les excédents éventuels sont donc coûteux à transporter. Le combustible CSR a une valeur marchande négative : il faut payer pour s’en débarrasser, c’est le gate fee (péage) : actuellement entre 30 et 50 €/tonne.

Voici deux diagrammes de flux matière pour la filière actuelle et la filière CSR envisagée, à volume d’OMR en entrée constant (127 000 tonnes). Le scénario CSR présenté ci-dessous tient compte des hypothèses énoncées ci-dessus.

Filière actuelle. Flux de matière en milliers de tonnes.Données 3M, RPQS déchets 2022
Filière CSR projetée, en 2035 : flux de matière en milliers de tonnes

4 – Des coûts élevés

Si le choix du CSR est douteux à cause de sa faible efficacité énergétique et sa faible pertinence pour réduire les tonnages de refus, il en va de même pour son coût.
Avec un coût supporté par la collectivité (par le contribuable, via la TEOM) annoncé à 290 €/t pendant 6 ans puis 200 à 220 €/t dans le cadre de la filière CSR pendant 12 ans, cela revient à 33 M€/an, soit 600 M€ sur les 18 ans de la durée de la DSP. Le délégataire privé prendra seulement 200 M€ à sa charge, investissement et fonctionnement sur 18 ans : investissement 160 M€, fonctionnement salaires 50 ETP 45 M€, les autres charges courantes de fonctionnements étant en première approximation couvertes par la vente des produits : énergie et valorisation matière.

Les refus à enfouir restant importants, les coûts le resteront également. Relevons que ce qui est présenté comme le coût du transport des déchets dans la filière actuelle, une dépense de 26 M€ prévue en 2024, est en fait le coût total de l’export, c’est à dire :
•      les redevances d’enfouissement et d’incinération payées par la Métropole aux différentes décharges et incinérateurs qui accueillent les déchets métropolitains
•      la taxe TGAP sur les enfouissements et incinération
•      le transport routier (4500 trajets en camions/an ) pour seulement ~2 M€

Le transport routier représente donc moins de 10% du coût total de l’export des déchets.

Le mécanisme d’incitation à la baisse des tonnages d’entrée, s’il a un quelconque effet, coûtera à la collectivité une compensation versée au délégataire. Celui-ci vendra la capacité d’incinération ainsi libérée à des tiers à meilleur prix (import de déchets générés par d’autres collectivités), et ainsi augmentera ses marges, à pollution constante pour les Montpelliérains.

Les investissements sont élevés, le système industriel mis en place est complexe, rigide – tout ceci est facteur de risque financier.


5 – Des vulnérabilités importantes 

Les critères de l’Ademe pour subventionner la filière CSR ne sont pas remplis pour le projet de Montpellier : Montpellier n’a pas de fort besoin de chaleur industrielle ni de fort besoin en réseau de chaleur urbain ; la filière CSR ne doit pas compromettre le valorisation matière ni le recyclage ; le projet ne saurait être motivé par la seule réduction des déchets ni pour échapper à la taxe TGAP (d’incinération ou d’enfouissement).

La filière CSR n’est pas soutenable sans perfusion d’argent publique, de l’analyse même de l’Ademe. Le combustible CSR peut-il être qualifié de renouvelable ? La majorité est d’origine fossile (plastiques, mousses…). Seule la part de biogène du CSR (bois, papier, carton…) est renouvelable, mais cette part est vouée à décroître, car les biogènes devront être valorisés en matière. Inévitablement, la part pétrosourcée augmentera au fil du temps. Des évolutions réglementaires défavorables sont possibles, et affecteraient l’équilibre : éligibilité ou non aux subventions, hausses futures de la TGAP, taxe carbone aujourd’hui exonérée qui pourrait devenir applicable. La pertinence économique est également dépendante du marché global de l’énergie.

La filière repose sur un dilemme :
•      soit réduire les tonnages de refus en les séchant fortement, opération très énergivore,
•      soit favoriser le rendement énergétique en séchant moins, ce qui conduit à davantage de refus et de coûts d’enfouissement

Au regard de ces remarques, la filière apparaît donc comme polluante, intrinsèquement fragile, vulnérable à l’environnement global et dangereuse pour les finances métropolitaines.