Stratégie « zéro déchet » : une question de volontarisme

La Gazette des Communes du 15 mars 2024

A Montpellier, un bras de fer oppose le tenant de la politique « zéro déchet » aux promoteurs de la filière « CSR ». Mais au Grand Besançon et ailleurs, les pionniers de la réduction des déchets font leurs preuves.

« On a bloqué ma stratégie “zéro déchet”. » François Vasquez, vice-président (écologiste) de la métropole de ­Montpellier (31 communes, 507 500 hab.), ­ne décolère pas depuis qu’il a appris qu’un projet de filière des CSR, qu’il baptise « chaudière à plastiques », serait soumis au vote du conseil métropolitain. Chargé de cette politique depuis 2020, il estime que « c’est non seulement extrêmement polluant, très complexe techniquement, très coûteux et, de ce fait, perfusé d’argent public, mais aussi complètement anti­nomique avec notre politique, votée à l’unanimité en mars 2022, qui vise à réduire de moitié les déchets collectés d’ici à 2027 ». Soit une baisse prévue de 65 000 tonnes sur un total de 127 000 tonnes, grâce au tri et compostage des biodéchets (35 000 tonnes), au tri et réemploi du verre, textile, etc. (10 000 tonnes), ainsi qu’à la sortie des déchets d’activité économique (20 000 tonnes) que les entreprises doivent, selon la réglementation, confier à des prestataires privés chargés du tri et de la valorisation.

Impacts délétères

Une politique « à peine appliquée faute de volonté et de moyens de la part de la direction des services », fulmine François ­Vasquez, voyant désormais dans ce blocage ­l’effet du projet « CSR » qui « nécessite 100 000 tonnes de déchets à éliminer pour nourrir les 45 000 tonnes à haut pouvoir calorifique de la chaudière ». Une nouvelle filière qui pourrait prendre place dans l’usine montpelliéraine Amétyst et alimenter un réseau de chauffage urbain. Or, en plus de ses impacts environnementaux et sanitaires « ­délétères », l’élu redoute qu’elle ne plonge la collectivité dans un gouffre financier en raison de la flambée des coûts (d’investissement et d’exploitation) et de la hausse continue de la TGAP. S’il a obtenu le report du vote de la délibération au 2 avril et le soutien d’EELV, le conflit a tourné au bras de fer politique avec ­Michaël ­Delafosse (PS), président de la métropole, qui lui a retiré ses délégations.

Mais qu’est-ce qu’une stratégie « zéro déchet » ? Elle consiste à réduire les déchets à la source, développer le tri (dont celui des biodéchets), promouvoir les alternatives à l’usage unique et, souvent, instaurer une incitation financière. C’est le pari tenu par le Grand ­Besançon (68 communes, 197 500 hab.) qui a décidé, en 2008, de fermer l’une de ses deux usines d’incinération et de rénover la seconde, avant d’installer le compostage des biodéchets. La communauté urbaine a donc déployé au fil des années près de 30 000 composteurs individuels et 300 autres pour l’habitat collectif. Elle a aussi renforcé le tri à la source du verre, du papier, du carton, du plastique, etc. Le tout doublé, dès 2012, d’une tarification incitative (en ­fonction du poids des déchets d’un foyer).

Résultat : la quantité moyenne de déchets ménagers collectés « a baissé de 40 %, tombant à 135 kilos par habitant et par an, bien en ­dessous de la moyenne nationale, qui se chiffre à environ 250 kilos », se réjouit ­Daniel ­Huot, vice-­président (DG) chargé de cette politique. Autre point notable de la démarche : elle est source d’économies. Ainsi, la vente du compost couvre les coûts liés à la filière des biodéchets. Et le rythme des collectes de déchets a été divisé par deux dans 58 communes, soit un passage tous les quinze jours au lieu d’un par semaine.

Mieux encore, la taxe incitative est en moyenne de 82 euros par habitant et par an, loin de la moyenne nationale des taxes et redevances d’enlèvement des ordures ménagères qui dépasse les 100 euros et peut atteindre le double dans nombre de collectivités. Quant à l’usine d’incinération, chargée de traiter les 30 000 tonnes d’OMR, elle alimente le réseau de chaleur d’un quartier d’habitats collectifs. Et, sa capacité permettant d’en absorber 5 000 de plus, elle s’est ouverte à d’autres clients.

EVE 11 Zéro déchets
Points d’apports volontaires

Il faut, cependant, encore lever des obstacles. D’abord, la difficulté à changer les comportements dans les habitats collectifs. « La facture des déchets fait partie des charges annuelles de l’immeuble, ce qui la rend quasi invisible, alors que, dans l’habitat individuel, elle permet de sensibiliser les gens », observe ­Matthias ­Mennecier, directeur de la gestion des déchets. Il arrive aussi que la configuration des lieux ­complique le déploiement des outils de collecte. Dans un quartier populaire, les locaux à déchets des résidences n’étant pas adaptés, la commune multiplie les points d’apports volontaires extérieurs pour le tri – un nouveau chantier en cours. C’est aussi le cas dans l’hypercentre de ­Besançon qui ne peut être équipé en composteurs collectifs. Mais une solution a été trouvée. Les habitants apportent leur bio-seau dans une permanence assurée par une association.

Pouvoir d’achat en hausse

Également précurseur, Roubaix (98 900 hab., Nord) ne maîtrise qu’une petite partie de la gestion de ses déchets, une compétence de la métropole européenne de Lille (MEL, 95 communes, 1,18 million d’hab.). Cela n’a pas empêché celle qui est, depuis septembre 2022, la première commune française du réseau européen des « villes pilotes de l’économie circulaire » d’engager, il y a neuf ans, des actions de prévention innovantes. Le défi « familles zéro déchet », lancé en 2015, a remporté l’adhésion d’environ 900 ménages. En un an, au fil des ateliers où les personnes sont initiées à des solutions pratiques pour composter les biodéchets ou éviter les produits industriels emballés, elles réussissent à diminuer de moitié le poids de leurs déchets. Et leur pouvoir d’achat a progressé d’environ 1 000 euros.

La démarche a été déclinée dans les 50 écoles de la ville, les administrations, les associations ou les entreprises, dont 80 d’entre elles sont accompagnées dans le diagnostic et le réemploi ou le ­recyclage de leurs déchets. Un label « Commerçants zéro déchet » a également entraîné 80 magasins, restaurants, traiteurs, réparateurs informatiques, etc. dans cette voie. Les volontaires peuvent s’appuyer sur un tiers-lieu dédié à l’économie circulaire. Sans compter les dispositifs de compostage individuel et collectif que la municipalité déploie. Des outils que Roubaix ­partage avec 25 ­communes de la MEL.

Ces pionniers ont inspiré des centaines de collectivités, comme le montre la diffusion de la tarification incitative qui « permet de réduire de 41 % la quantité d’OMR », selon la Cour des comptes dans son rapport de 2023. Aujourd’hui, tout pousse dans ce sens, avec notamment l’obligation de trier les biodéchets depuis le 1er janvier 2024 ou la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire. Sans compter l’augmentation de la TGAP. Mais, d’après le délégué général d’Amorce, ­Nicolas ­Garnier, cette mission n’est possible que si elle est partagée avec l’Etat. Car c’est avant tout à lui de jouer son rôle, « en imposant aux grandes entreprises de fabriquer des produits durables et non jetables » ou « en affectant les recettes de la TGAP à la compensation des ­surcoûts » liés à la gestion de plus en plus complexe des déchets.

Focus

  • 75 kg de biodéchets par habitant et par an, soit un tiers des OMR. Le retour au sol de ces matières organiques, composées majoritairement d’eau, afin d’enrichir les sols agricoles ou leur méthanisation pour produire de l’énergie, est beaucoup plus utile que leur traitement par incinération.
  • 97 % des intercommunalités qui produisent moins de 150 kg d’OMR et 100 % de celles qui en produisent moins de 100 kg par habitant avaient recours, en 2021, à une tarification incitative.

Source : Cour des comptes, rapport public annuel, 2023.

Focus

« Les collectivités n’ont pas de levier pour agir en amont sur la réduction des emballages »

Pauline Debrabandere, coordinatrice de campagnes de l’association Zero Waste France

« Ce sont d’abord les territoires où il n’y avait plus d’exutoires pour les déchets qui ont changé de politique et mis un important budget dans la prévention. Avec succès. Nous recommandons aux collectivités de fixer des objectifs ambitieux en matière de tri à la source des biodéchets par les ménages et tous les professionnels du territoire, en mettant en place des moyens financiers et humains conséquents. Ces investissements, ­accompagnés de la tarification incitative, ont montré leur efficacité.

La difficulté réside dans le fait que les collectivités n’ont pas de levier pour agir en amont sur la réduction des emballages. Et elles manquent de moyens financiers. La plupart ne consacrent que 1 % de leur budget “gestion des déchets” à la prévention. Aujourd’hui, seulement un Français sur trois dispose d’une solution de tri à la source des biodéchets. »